Le moins qu'on puisse dire, c'est que
The Ocean a de la suite des idées, et a mené sa saga géologique avec détermination, sur près de treize ans. Depuis "
Precambrian" en 2007 jusqu'à ce "
Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic" en 2020,
The Ocean a réussi le tour de force d'illustrer musicalement l'intégralité de l'histoire de notre planète, en suivant le découpage des ères géologiques.
Nos allemands préférés (avec
Disillusion) sont une valeur sûre du metal progressif, à la fois follement ambitieux pour son projet herculéen, et humble face au monde qu'il décrit.
The Ocean (aussi appelé "
The Ocean Collective") a été fondé en 2001 par le guitariste Robin Staps, et leur carrière a été atypique, avec une apétance pour les concepts albums sur fond de
Sludge Death progressif ultra-puissant, parfois grandiloquent.
Comme il l'a déjà fait par le passé avec ses deux premiers albums "
Fluxion" et "
Aeolian", la plupart du matériel de ces deux albums était déjà largement composé, avant d'être réparti entre "
Phanerozoic I: Palaeozoic", sorti en novembre 2018, et "
Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic". Ce dernier a été finalisé en 2019 - la batterie étant déjà en boîte, les autres instruments et le chant ont été enregistré en Espagne, en Islande et bien sûr en Allemagne, malgré une tournée très intense pour le groupe cette année là.
Le Line up du collectif n'a pas changé depuis leur album précédent : outre Robin Staps (Guitare, chant), Loïc Rossetti (Chant), Paul Seidel (batterie), Matthias Hägerstrand (basse), et David Ramis Ahfeldt, on notera en guests les participations de l'ancien chanteur de
The Ocean, Tomas Liljedahl (
Breach), ainsi que de
Jonas Renkse (
Katatonia). "
Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic", prévu dès l'origine pour 2020, est malgré le foutoir du covid, effectivement sorti le 25 septembre 2020, chez
Metal Blade Records. A noter pour les amateurs que certaines versions de l'album ont en sus les versions instrumentales des morceaux, qui ont à mon goût autant d'intérêt que les versions chantées ;
The Ocean composant avant d'ajouter les vocaux, on y voit leur vison originelle de l'album.
Pour commencer, nous pouvons dire que les deux derniers volets du cycle ne sont pas des disques jumeaux, loin de là. On note un changement marqué à tous les niveaux, en commençant par l'artwork, en rupture avec ceux très semblables de "
Precambrian" et "Phanerozoic I…", on peut y voir l'arrivée de la main humaine, même si elle est encore archaïque, sur la vie sur Terre.
La production très organique et soignée de Jens Borgren est aussi très différente de celle du premier volet. La batterie a un son très naturel, et est parfois agrémentée de percussions ("Triassic"). Les sons de guitare sont variés, bruts en saturé, amples pour les autres, avec une part non négligeable de sons crunch dont le grain est presque Stoner, gras et chaud comme la végétation tropicale de cet âge luxuriant.
Le rythme de l'album est globalement lent et chaotique, comme le démembrement de la Pangée, le supercontinent unique qui regroupe les terres émergées à cette époque, qui se poursuivra sur 255 millions d'années jusqu'à notre monde actuel, à la fin du titre "
Holocene", 51 minutes plus tard. L'apogée de la lourdeur est atteinte lors des 13 minutes de "Jurassic I Cretaceous", qui retranscrit la période du gigantisme animal des dinosaures, qui a pris fin il y a 65 millions d'années avec la collision de la météorite de Xixulub. Gros riffs brontosaures, grosse basse ronflante, gros screams, gros cuivres solennels, grosse double grosse caisse sur une grosse fin intense et death, comme la mort qui a saisi une bonne partie des êtres vivants lors de l'extinction dite KT.
On connaissait le goût de
The Ocean pour les longues pièces, il le met donc en pratique avec bonheur sur les deux premiers titres plats de résistance, mais la plupart des morceaux restent concis, oscillant autour de quatre minutes. La musique du groupe est plus progressive que jamais, sans être dans la démonstration, avec autant de subtilité dans les nuances que de détermination lorsqu'il faut durcir le propos ("Pleistocene" contient tout cela à la fois en 6:40, une gageure !).
Il y a pas mal de plages plus mélodiques, voire ambiantes, comme le magnifique instrumental contemplatif "Oligocene", qui lorgne du côté de l'électro rock, avec un couple batterie/synthé enluminé de guitares aériennes.
Cet album est en effet plus varié que le précédent, et ils ont gardé leurs idées les plus expérimentales pour ce dernier volet : le mélange post rock/ tribal /metal de "Triassic", les mélodies en notes pointues et la batterie jazzy de "Eocene", ou la belle ligne de chant presque pop de "
Holocene". Des cuivres et des violons viennent par touches donner encore plus de vie à des compositions déjà riches. Des espèces de synthés alarmistes au début de "Pleistocene" annoncent l'arrivée des Hominidés dont nous sommes les descendants, avant de poursuivre à la façon du
Gojira de "Global Warming"ou "Low lands", alors que quelques choeurs féminins doublent la voix de Loïc Rosetti.
En ce qui concerne les paroles, elles ne consistent pas en un cours magistral sur les eons et les pétages de plaques tectoniques, mais tracent un parallèle philosophique entre la Terre, entité vivante, et nous humains, qui avons peine à comprendre qu'elle a existé avant nous, et existera après.
Cependant, le coté métal n'a pas été délaissé, loin de là. Plusieurs titres son plus rentre dedans, ("Palaeocene", "
Miocene I Pliocene"), de nombreuses sautes d'intensité émaillent l'album, comme autant de cataclysmes. De plus, Quoi de mieux pour figurer les périodes de glaciation qu'une bonne… dégelée de black métal ? On en trouve sur le puissant "Palaeocene" avec des enchaînements d'accords typiques du grand nord, soulignés par des claviers, ou sur la fin dévastatrice de "Pleistocene", où les australopithèques massacrent joyeusement tout ce qui peut se transformer en méchoui, inaugurant leur première extinction de masse. Le death est toujours présent aussi, dans de nombreux growls qui s'intercalent entre les parties de chant clair, et dans des riffs en trémolo picking à couilles rabattues.
La boucle de 4,5 millards d'années est enfin bouclée pour
The Ocean, entre "
Precambrian", "
Phanerozoic I: Palaeozoic" et "
Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic", qui peuvent s'enchaîner avec le dypique "
Heliocentric" et "
Anthropocentric" qui parlent de la belle clairvoyance humaine (sic) sur sa place sur cette Terre et dans l'Univers.
Certes,
The Ocean n'a pas pu renouveler la quasi perfection atteinte sur "
Phanerozoic I: Palaeozoic" il y a deux ans, et si cet album est plus varié et explorateur, il n'a pas cette puissance sur-naturelle qui dévastait tout sur son passage. Il conclut cependant le cycle avec maîtrise, intelligence et sensibilité (oui, et plus que jamais), et peut-être considéré comme un aboutissement artistique pour
The Ocean, qui va pouvoir fermer ce tôme avant d'en ouvrir un nouveau…
J'attendais cet album avec impatience, et je ne suis pas déçu. Un cycle se termine. J'espère que le prochain sera de même facture.
JeanEdernDesecrator, ta chronique est excellente et résume parfaitement ce que je ressens à l'écoute de l'album.
Une nouvelle pépite dans cette année fabuleuse. Ils montrent leur admiration pour l'immense TOOL, et c'est pas fait pour me déplaire!
Ce sera sans doute pour moi le meilleur album de l'année. J'y retrouve tout ce que j'aime dans le métal et, de plus, exécuté de main de maître.
Merci pour la chronique, pourtant elle était pas facile.
Pour le moment j'ai 2 écoutes au compteur, et je le trouve plus fluide que le premier, plus homogène, is prennent plus le temps de poser les variations d'ambiance. Le premier était pas mal articulé autour des 3 morceaux plus acrocheurs, et du coup je le trouve globalement plus chaotique que celui là (même si Jurassic | Cretaceous est assez marquant et chaotique).
En tout cas un diptyque très réussi, qui n'a pas à rougir devant le culte Precambrian. Comme quoi il y a des groupes qui arrivent à égaler leurs chefs d'oeuvre passés.
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